Texte / Mécanique des Cendres
8 août 2024

BURN OUT


texte d’Alain Willaume
au sujet de la série Mécanique des Cendres de David GIANCATARINA

David Giancatarina sait photographier à la perfection les objets, les choses, les architectures, et même les œuvres d’art des autres. II le fait avec une méticulosité et une sincérité extrêmes, une technicité obsessionnelle, une manie du détail que très peu d’entre nous, commun des mortels, ne posséderont jamais. II le fait avec la rigueur, la patience,la passion d’un horloger. Comme l’horloger, ce maître du jeu, il est sans cesse aux aguets des plus infimes dérèglements. Car c’est au maître horloger, et à lui seul, que revient la sublime mission de mesurer l’immatériel par essence : le Temps. Tel un Sisyphe des choses minuscules, il sait qu’il porte la tâche de concevoir, puis assembler du bout des doigts chaque rouage, chaque infime ressort, chaque couronne miniature. Et à la toute fin, il aura fabriqué une mécanique pure qui mesure exactement, de la manière la plus précise qui soit, une abstraction, un concept invisible. Et qui témoigne aveuglément de l’aveu de notre impuissance.Tel un maître horloger, David Giancatarina choisit d’affronter un autre défi : représenter la disparition du visible.

Après un premier chapitre dédié au black out («Manière noire», 2017), il se tourne vers le burn out, matière plus fascinante encore. Complétant ses vanités premières, il les passe cette fois au crible de la manière grise : la cendre. Cette immatérialité faite matière, cette matière faite sentiment. Ce qui reste d’irréductible après le désastre du feu. Le photographe s’empare de ce véritable matériau-mémoire et c’est à nouveau notre chute qu’il convoque. Cette peau-deuil, cette poussière d’anges dont il décide de recouvrir quelques objets épars de notre quotidien, dans une palette de gris sourds, nous prend à la gorge comme si on l’avait respirée. Pourtant, ces fantômes d’objets ne se sont pas consumés ; ils sont toujours bien là, on peut les reconnaître dans leur trivialité. Mais ils ont perdu leur chemin en route, dans les cendres du temps qui passe. « Ils ne sont plus que le souvenir d’eux-mêmes » nous dit le photographe. Mais on sait bien que les objets n’ont pas d’âme. Ils n’ont donc pas de souvenir.Par contre, par la grâce de cette âpre alchimie que le photographe a su faire advenir et qui les a dépouillés de leur essence, ils portent à présent la parure de sa propre mélancolie.

À jouer avec le feu, on s’expose à la brûlure. Et à manier ce résidu incombustible après l’incinération, on devient homme de cendre comme on dit homme de couleur…. après que l’homme de paille ait été consumé. Dans le frottement soyeux de ces grains gris comme le blues, nous ressentons – par les yeux ! – un silence tactile inédit. Et cette poudre de mutisme nous laisse un goût de cendre dans la bouche. Mais nous touche au cœur.

Alain Willaume